La puissance et la fragilité de Dieu

Nous venons de célébrer la solennité de la nativité. Au-delà de la liesse qui entoure cette fête, avons-nous réalisé un seul instant que Dieu nous surprend toujours et nous étonne continuellement ? La première surprise se situe au niveau de la création et la deuxième à celui de l’incarnation. Examinons cela de près.

Qui parmi les dernières créatures de Dieu, ne se laisse pas, contemplant l’univers, émerveiller par sa beauté, sa magnificence, sa grandeur, ses mystères et surtout son ordre ? Beaucoup de penseurs grecs de l’antiquité avaient même fondé leur philosophie morale sur cet ordre. S’y accommoder et s’en inspirer dans la vie tant collective qu’individuelle, c’était, pour eux, une voie de réponse positive à la question de savoir comment vivre heureux. S’ils n’avaient pas envisagé cet ordre comme une théophanie, beaucoup d’autres l’ont pressentie et même conçue comme telle. Nous pouvons donc affirmer que la création demeure la première révélation de Dieu. Elle dévoile la toute puissance du créateur. Qui d’autre peut/pourrait créer quelque chose de si beau, si ordonné sinon Dieu ? Raison pour laquelle l’humain lui attribue de qualité de la toute puissance, d’absolu, d’infini, de parfait … Même si les scientifiques ont expliqué l’origine de l’univers par une autre voie que celle de la Bible, leur approche n’éclaire que partiellement l’esprit de tout humain qui entend aller jusqu’au bout de ce processus. Aussi, est-ce à juste titre que les croyants professent dans leur credo que Dieu est le créateur tout puissant. 

Le Tout Puissant a de nouveau surpris l’humain, principalement les chrétiens, en résolvant, de sa propre initiative, comme pour la création, de s’incarner. Il a pris chair de la Vierge Marie pour se faire homme. Dans le credo, nous, chrétiens, professons également notre foi en Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Toute la surprise est là. Comment peut-on être Dieu et homme, grand et petit, absolu et relatif, puissant et faible en même temps comme si cela était compatible ? Le moins que nous puissions dire, c’est que l’incarnation de Dieu défie le principe logique de la non-contradiction. Du point de vue de la raison humaine, on ne peut pas affirmer quelque chose simultanément avec son contraire. C’est incompréhensible. Il n’y a pas de conjonction possible. Ou c’est l’un ou c’est l’autre mais pas les deux à la fois.

Les chrétiens s’étonnent de nouveau quand ils apprennent que c’est pour eux que Dieu passe d’une extrémité à une autre. C’est pour leur révéler la radicalité de son amour qu’Il a renoncé à sa toute puissance et qu’Il a revêtu la fragilité humaine. Quand il s’agit de sauver ou d’aimer l’homme, Dieu ne lésine pas sur les moyens. Il accepte d’assumer absolument les risques et les conséquences de son acte, s’exposant ainsi à l’incroyance, l’ingratitude, la fourberie, voire la méchanceté des humains. L’homme que Dieu a tant aimé au point de lui donner sa vie, L’a crucifié. Et pourtant, il est une créature privilégiée de Dieu pour avoir été créé à son image. Il est l’unique créature dotée de la raison et donc de la liberté. Cependant, c’est aussi lui qui Le livre, Le trahit et Le tue. Rien d’étonnant que le psalmiste ait chanté ceci : Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? Ps 8,5. 

Néanmoins, les chrétiens sont encore surpris de réaliser qu’ils sont, malgré leurs infidélités, sujets, donc bénéficiaires de cet amour radical. Alors, ils prennent conscience que la fragilité dont Dieu s’est revêtu, en se faisant homme, dévoile sa toute puissance. Sa force vient du fait de sa nature. Dieu n’est pas qu’amour par excellence. Mais l’Amour, c’est Lui. On passe de l’amour qualité à l’Amour nature, substance. En Dieu, nature et qualité sont étroitement unies. Ainsi, sa puissance se dégage de son amour infini, de sa justice et de sa vérité. Avec un tel amour, si puissant, l’impossible n’existe pas. 

Il reste à savoir si nous sommes, en tant qu’humain, prêts à accepter un Dieu qui se manifeste faible, fragile. Ne sommes-nous pas disposés, humainement parlant, à désirer ce qui incarne une certaine force, une puissance et à détester ce qui se dévoile faible, léger, pauvre, misérable…. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’à Athènes, les grecs n’aient pas voulu entendre le discours de saint Paul sur le Dieu fait homme et crucifié. Aujourd’hui, ne recherchons-nous pas un Dieu de gloire, faiseur de miracles, dispensateur à profusion des biens matériels ? La preuve est que beaucoup ont cessé de croire en Lui parce qu’Il ne déploie pas sa toute puissance en délivrant l’humanité et les humains de multiples épreuves et catastrophes naturelles. L’apparent silence de Dieu les dégoûte et les pousse à l’athéisme. Les humains ne comprennent pas que Dieu soit tout puissant mais incapable d’éradiquer le mal quelle que soit sa nature. 

Et pourtant, c’est la voie qu’Il a trouvée pour se révéler, se faire connaître, dévoiler totalement sa pensée, son message et ses desseins aux humains. Allons-nous Lui en vouloir d’avoir levé une telle option? Pour qui connaît les écritures saintes, ce n’est pas une nouveauté. Il avait choisi la voie de la brise légère et non celle des vents puissants, ni de tremblement de terre, ni de feu dévorant pour se faire connaître au prophète Élie. (1R.19, 8-13). Pour naître, il a préféré une étable au lieu d’une maternité confortable. Dieu se laisse découvrir dans la simplicité de la vie et des faits, et non dans les choses spectaculaires et extraordinaires. Tel est le miracle de Dieu. Sa toute puissance se déploie dans la fragilité. Il a choisi la voie de l’amour radical pour restaurer son image, ternie par l’humain, pour le libérer et donc le sauver. Il a préféré le pardon plutôt que la rancune et la colère pour se réconcilier avec l’humain. Dieu nous étonne et nous étonnera toujours.

 Que retenir de ce qui précède? Je vous propose quatre messages. Le premier, c’est qu’il ne convient pas de chercher Dieu dans des choses puissantes, ni spectaculaires encore moins extraordinaires. Il ne s’y trouve pas. C’est dans la quotidienneté de notre existence qu’on Le rencontre. Il n’est pas en dehors, à l’extérieur de nous mais en nous. La crèche qu’il a choisie pour naître, c’est notre cœur. S’Il s’est incarné dans notre chair, c’est pour y habiter afin de la transformer de l’intérieur.

Le deuxième, c’est qu’une telle voie ouvre à la foi. Le Dieu invisible ne se rend visible qu’avec les yeux de la foi. Avoir la foi, c’est adhérer et faire confiance à Dieu, nouer une relation profonde, intime avec Lui et s’inscrire dans la catégorie des petits, donc des humbles. Les humbles sont ceux qui, tout en ayant la raison, accueillent d’abord Dieu et son message, et Lui accordent la priorité. C’est à eux qu’Il livre ses secrets, ses mystères.  

Le troisième, ce sont les voies de salut qu’Il utilise pour nous sauver. Dieu n’a pas besoin d’armes, quelles que soient leurs natures, ni d’argent, ni de sagesse humaine pour sauver ses créatures privilégiées. Ce sont les moyens humains. Ma royauté n’est pas de ce monde, répondait Jésus à Pilate. Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. (Jean 18, 37) Dieu passe par l’amour, la miséricorde, la compassion, la justice, la vérité, la bonté, la paix…pour nous libérer. Il n’abuse pas de son rang encore moins de sa puissance, ni de son pouvoir pour brimer les humains. Son message n’est nullement manipulateur, ni aliénant. Il est plutôt libérateur parce que révélateur et porteur d’amour, de paix, de vérité et de justice et pas de haine. Aussi cherche-t-il toujours à unir, à rassembler.

Quatrième message, c’est l’humilité. Si Dieu Lui-même s’est révélé humble, à quoi servirait l’orgueil à l’humain? Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux leur appartient. (Mt 5, 1-11) Être imbu de soi-même, habiter le pouvoir, se surestimer rend toujours incapable de servir le Royaume de Dieu et de répandre la joie autour de soi. L’orgueil est incompatible avec la vie de foi. D’ailleurs, l’on remarque souvent l’inefficacité, voire l’improductivité des orgueilleux promus à la tête d’une organisation tant civile qu’ecclésiale. Ils sont incapables de garantir l’unité, la paix, la joie…. Puisse la présence de Dieu dans nos vies augurer une aube nouvelle, porteuse d’amour et de vérité, de justice et de paix.

 BONNE ANNÉE 2025

Denis KIALUTA LONGANA

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