Noël et Pâques, deux mystères de la vie de Jésus

Durant quarante jours, depuis le mercredi des cendres jusqu’au dimanche des rameaux, les croyants chrétiens, particulièrement catholiques, commencent à se préparer à la célébration du mystère de Pâques. Toute la question est de savoir si la routine annuelle de cette célébration ne leur fait pas perdre la dimension du mystère dont revêt cette célébration. Mystère est à concevoir dans son double sens. D’abord comme ce qui dépasse tellement notre intelligence et nos capacités au point de ne pas pouvoir nous l’expliquer, ni le réaliser. Enfin, comme ce qui, théologiquement, se dévoile progressivement au fur et à mesure que l’on progresse dans la foi. C’est à élucider, un tant soit peu, ce mystère que nous allons nous employer dans les réflexions qui vont suivre. Nous commencerons d’abord par justifier ce mystère et enfin par approfondir chacun en nous limitant par ceux de l’incarnation et de la résurrection.

Mystère du point de vue humain (la raison)

Le cerveau de l’humain n’a jamais été si développé qu’en ce siècle où il est même parvenu à se doter de l’intelligence artificielle. Nous pouvons même arguer qu’il connaît beaucoup tant de la vie que de l’existence et de l’univers qu’il devient quasiment capable d’en déchiffrer les énigmes. Dans cette perspective, pouvons-nous encore envisager l’idée du mystère entendu, ainsi que nous l’avons souligné ci-dessus, comme ce qui dépasse son entendement et qu’il ne saura ni comprendre ni accomplir ? La réponse est, sans ambages, affirmative. L’humain ne peut maîtriser que ce qui est à sa portée. Cela signifie qu’il existe des réalités qu’il saisit mieux et d’autres qui lui échappent. À titre d’exemple, l’humain ne peut prétendre contenir Dieu qui est non seulement son créateur – s’il est croyant – mais aussi invisible. Certes, il peut Le découvrir à travers son œuvre de création. Cependant, celle-ci ne lui donne qu’une idée partielle de ce qu’Il est exactement. Cette idée ne constitue qu’une approche humaine, une manière pour lui de penser Dieu. Ainsi, certains L’ont appréhendé comme transcendant, d’autres L’ont même identifié à son œuvre, donc à la nature. Dieu demeure et demeurera un mystère pour l’humain. Tout ce qui relève et se rapporte à Lui, reste aussi un mystère, surtout si l’humain essaie de l’élucider uniquement avec sa raison et ses capacités.

Mystère aussi parce que malgré son intelligence, tout ce que l’homme réalise avec ses mains reste artificiel. Il calque ses œuvres sur la nature mais ne la reproduit pas dans son état naturel, comme l’a fait le créateur. Si la création continue de susciter chez l’humain émerveillement et admiration, c’est que, comme œuvre, elle le dépasse et devant elle, il avoue son impuissance. C’est alors qu’il reconnaît la grandeur de Dieu. L’on comprend dès lors pourquoi d’aucuns, comme Voltaire, L’ont appréhendé comme un grand horloger, d’autres comme une équation parfaite, un ordre géométrique qui sous-tend chaque mouvement de l’univers. Derrière une telle conception se cachent la petitesse et la finitude de l’humain devant cette grandiose œuvre divine. L’humain a beau inventer des fusées qui l’ont conduit à explorer d’autres planètes, son invention n’égalera jamais l’œuvre divine. Voilà qui explique le mystère. C’est donc à juste titre que l’humain conçoit tout ce qui ne relève pas de lui comme un mystère. C’est également normal que devant ce mystère, il adopte une attitude de petitesse, qu’il reconnaisse sa finitude et ses limites. Telle est la première perspective du terme mystère, relative aux réalités qui dépassent son entendement et ses capacités. Il en reste une deuxième qui rend le mystère un tant soit peu tangible, perceptible par l’humain. C’est celle de la foi, donc de la révélation où Dieu Lui-même dévoile à l’homme ce qu’Il est réellement. C’est dire donc que ce que l’homme appréhende comme mystère, ne l’est que pour lui mais pas pour Dieu. 

Mystère du point de vue de la foi

Si, comme l’a si bien souligné Emmanuel Kant dans ses deux grandes oeuvres critiques de la raison, l’homme ne peut qu’élucider les phénomènes et non les noumènes – Dieu faisant partie de noumènes -il n’y a plus que Dieu qui peut aider l’homme à percer ce mystère pour en découvrir le contenu et en savourer les délices. Dans cette perspective, le terme mystère et la réalité qu’il détient, revêtent un nouveau sens. Il passe de ce que l’humain ne peut pas comprendre, ni réaliser à un secret dévoilé par Dieu lui-même à ceux qui lui sont profondément liés. Ainsi, tant les mystères de l’incarnation que de la rédemption ne peuvent être saisis que par la lumière de la foi. Aussi, requièrent-ils la foi pour être admis et assumés.

Prenons à titre d’exemple, le mystère de l’incarnation. Comment, en comptant uniquement sur la lumière de la raison humaine, comprendre la naissance de Jésus, né sans accouplement, d’autant qu’à son époque, les méthodes conceptuelles artificielles étaient inconnues ? L’étonnement de Marie devant les paroles de l’ange Gabriel, en dit long et en constitue la preuve. “ Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? “ ( Lc 1, 34) De plus, comment comprendre que cet enfant revêtira une double nature: celle de Dieu et celle de l’homme? Dans l’entendement humain, une telle association est totalement impensable. Ou on est humain ou on est Dieu mais pas les deux à la fois. Enfin, comment élucider le risque qu’il a pris en assumant la fragilité humaine alors qu’il est tout puissant ? La fragilité ne contraste-t-elle pas avec la toute-puissance ? Tant de questions sans réponse qui rendent la raison humaine très complexe. 

Jésus a dû expérimenter cette fragilité tout au long de sa vie terrestre. Il a affronté et confronté l’adversité, la méchanceté de l’humain mais davantage son incrédulité. Ses contemporains ne l’avaient quasiment pas accepté comme fils de Dieu et surtout pas comme Dieu. Il a été tenté, mis à l’épreuve, piégé, rien que pour tester l’authenticité, la véracité de son enseignement. Il a assumé toute la fourberie humaine. Les incompréhensions et les malentendus ont fusé dans tous les sens. Même pour ses compagnons, devenus après, les piliers de son Église, la tâche n’a pas été facile. Ils ne l’ont compris qu’après la résurrection. Parmi eux, il s’est même trouvé un traître qui l’a livré aux mains des pharisiens pour un vil prix et un qui l’a renié pendant le procès. La question que suscite tout ceci est de savoir si l’homme qui n’abandonne pas sa logique pour adhérer à celle de Dieu peut-il L’accueillir, l’accepter et L’adorer ? Dieu demeure toujours un mystère pour l’homme. Celui-ci ne pourra éviter le déicide que s’il accepte de se laisser éclairer par Dieu lui-même. Seule la lumière venue de Dieu peut éclairer le mystère. Celui de la rédemption n’échappe pas non plus à cette thèse.

Le mystère de la rédemption    

Il convient de noter que les deux mystères sont intrinsèquement liés. L’acte et le processus du salut n’ont pas commencé avec la mort et la résurrection de Jésus mais avec sa naissance. Le fait qu’il soit mort, procède naturellement de son incarnation. S’il n’était pas homme, il n’allait pas mourir. La mort de Jésus s’inscrit dans la logique normale des choses, vu que la mortalité est inhérente à la condition humaine. Ce qui étonne, surprend, c’est qu’il soit mort crucifié, comme une mauvaise personne. Celui qui n’a fait que du bien aux autres tant en paroles qu’en actions, celui qui est venu au monde pour apporter aux autres la vie en abondance, a fini sa course comme un malfaiteur, un meurtrier, destructeur de la vie. L’humanité a humilié Dieu, son créateur en Le crucifiant. Quelle contradiction, quel contraste ? N’est-ce pas la lutte entre la lumière et les ténèbres, le bien et le mal, l’amour et la haine, la vérité et le mensonge ? En tuant le créateur, l’homme n’a-t-il pas choisi le camp du mal, de la mort ? Si la capacité et le pouvoir de l’homme vont jusqu’à tuer le créateur, il ne dispose malheureusement pas de la puissance de surgir la vie du néant, donc de la mort. Comment saisir rien que par la raison humaine que l’Être le plus puissant que l’homme peut envisager, soit traîné dans la boue, humilié jusqu’à l’ignominie ? 

La deuxième surprise est que, son heure étant venue, comme un agneau qu’on amenait à l’abattoir, Jésus, n’a pas résisté, ne s’est même pas résilié, ni défendu. L’un des crucifiés s’est même étonné que Jésus ne s’est même pas tiré de cet embarras alors qu’il en avait délivré bien de personnes. Derrière cet étonnement, se profilait son incrédulité sur la filiation divine de Jésus. Pourtant, pour Jésus, le moment crucial d’affirmer, d’authentifier son enseignement, ses gestes et actes, était là. Capituler, se dédire aurait été pour Lui un signe de lâcheté. Il a donc accepté de les assumer jusqu’au bout. Mieux vaut pour lui mourir que de trahir la vérité, de se dérober de la justice, de renier son identité. C’est un choix de vie, une option levée pour maintenir le cap vers le bien. Loin d’être un poltron, il s’est révélé vigoureux. Dans tous les cas, quoiqu’il eut fait, le règne de la méchanceté, du mensonge, avait déjà raison de celui de la vérité. Le verdict était même déjà prononcé avant la fin du procès. Celui-ci était teinté de contrevérités. La vraie raison pour laquelle les juifs l’ont fait condamner, est religieuse. Il s’affirmait comme le fils de Dieu. Cependant, ne pouvant pas avancer un tel motif aux autorités romaines qui détenaient le pouvoir de condamner quelqu’un à mort, ne pouvant pas admettre que leur accusation soit classée comme un non-lieu et donc irrecevable, ils ont inventé un motif politique: cet homme se déclarait roi des juifs. Comment expliquer que le défenseur de la vérité, celui qui a vécu en ne faisant que du bien aux autres, soit mort crucifié ? Pourquoi le tout puissant devait-il se laisser maltraiter par ses créatures ? 

Comme pour le mystère de l’incarnation, toutes ces questions restent sans réponse si elles sont abordées du point de vue de la raison humaine. Seule la foi peut les élucider pour éclairer la lanterne humaine. Ne lisons-nous pas dans les écritures qu’il fallait que cela s’accomplisse ? Jésus lui-même avait annoncé à ses apôtres sa passion, sa mort et sa résurrection. Pour éclairer la compréhension des disciples d’Emmaüs, il avait dû leur réexpliquer les écritures et accomplir quelques signes, notamment ceux de la fraction des pains. Le passage par les écritures saintes prouvent à suffisance que tant la naissance que la mort et la résurrection de Jésus requièrent la foi pour être saisies par l’humain. Si on peut encore attester l’existence de Jésus et sa mort, seuls les écritures, les témoignages des apôtres et ses apparitions peuvent authentifier sa résurrection. Celle-ci demeure un mystère pour l’homme car elle est l’œuvre de Dieu. Lui seul détient la puissance de ressusciter les morts. Quand pour les humains, tout est fini, pour Dieu, tout commence. Quand les humains tuent, Lui fait surgir la vie même après la mort. 

De ce qui précède, nous pouvons tirer quelques conclusions. Il y a d’abord la foi. La résurrection repose sur la foi puisqu’elle ne procède que de Dieu. Raison pour laquelle, le verbe ressusciter ne se conjugue qu’à la voix passive. Un mort, déjà anéanti, ne peut jamais ressusciter. Dieu seul ressuscite les morts. Or, tout ce qui provient de Dieu, dépasse toujours l’entendement humain. Voilà pourquoi, la résurrection de Jésus requiert la foi pour être saisie et assumée. C’est aussi elle qui fonde la foi. C’est ce qui a fait dire à saint Paul que si Christ n’était pas ressuscité, vaine est notre foi. Nous croyons parce que nous sommes convaincus que le crucifié est vraiment ressuscité, vivant, parmi nous. Cette foi en appelle à l’espérance et c’est la deuxième conclusion

Noël comme Pâques sont les mystères de l’espérance. Celle-ci est également l’œuvre de Dieu pour qui il n’y a jamais de début ni de fin, étant lui-même éternel. L’espérance ouvre à de nouveaux horizons et donne des raisons tant de vivre que de croire et d’agir. Même si le monde ne va pas bien, même si tout ne s’arrange pas dans ma vie, dans mon travail, dans ma famille, même si je suis rongé par les épreuves de toute sorte, la résurrection m’invite à me confier à Dieu, à m’ouvrir à Lui qui a le dernier mot et pour qui rien n’est impossible. L’espérance chrétienne repose également sur la résurrection du crucifié. Alors que pour les humains, tout était terminé avec la mort de Jésus, pour Dieu qui a le dernier mot, une nouvelle vie commençait. Il a fait sortir son fils du tombeau, resté vide, comme Jésus en avait fait sortir Lazare. Si pour nous, les humains, il y a une fin, celle-ci n’existe pas pour Dieu. Ainsi, s’ouvrir à Dieu, compter sur Lui et croire en Lui, c’est, quelque part, briser les limites qui nous enferment pour nous étendre à des horizons infinis où la vie se déploie. Tel est le fondement de l’espérance chrétienne. Ainsi, au-delà de la mort, il y a encore la vie. Nous y croyons et nous l’espérons.

Cela impacte et influe sur notre vie quotidienne. Ne nous buttons-nous pas quelquefois sur des situations existentielles extrêmes pour ne pas dire limites où aucun horizon ne se pointe devant nous ? Ne sommes-nous pas découragés, désespérés au point de perdre toutes les raisons d’agir et donc de lâcher prise, de baisser les bras ? Chacun de nous a certainement expérimenté de pareilles situations qui les ont conduits à la déprime, voire au suicide. L’espérance chrétienne nous invite à ne pas nous enfermer en nous-même mais à tourner nos regards vers Celui qui ne connaît ni début, ni fin et pour qui il n’y a pas d’impossible. Sa lumière redonne espoir et ravive l’espérance quand pour nous, tout est terminé. L’espérance chrétienne est une forme de résurrection parce qu’elle nous fait passer d’une situation de non solution à celle où tous les espoirs sont de nouveau permis. Revigoré par la foi, ravivé par l’espérance, le croyant se dote de toutes les raisons d’agir dans l’amour et la charité. C’est la troisième conclusion : l’amour

Voici les trois vertus théologales réunies et acquises par la résurrection. À travers tous les événements vécus par son fils, Dieu nous a manifesté tout son amour. Il s’est incarné, est mort crucifié, et ressuscité pour nous. Au fond, dire Dieu, c’est signifié Être donné aux autres. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie à ceux que l’on aime. Dans la vie courante, l’amour de Dieu se traduit par la recherche d’une solide justice, d’une profonde paix, de réconciliation en cas de conflit, suivie de commisération, de compassion et d’actes concrets. C’est sur la croix que le crucifié a témoigné de son radical amour envers les humains. C’est une grâce à lui demander : d’être à même de porter notre croix d’amour jusqu’au bout en signe de reconnaissance à tout ce que nous recevons de Dieu. 

Denis KIALUTA LONGANA

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